CHAPITRE 25
Je fendis l’air et percutai l’Hork-Bajir le plus proche en pleine poitrine.
Il s’écroula sous le choc, roula sur lui-même et tenta de se relever. Il était rapide. Je l’étais encore plus.
Il frappa avec son bras tranchant. J’esquivai le coup. Ma patte gauche l’atteignit tellement vite que je la vis à peine, et creusa quatre sillons sanglants dans l’épaule du monstre.
Un autre Hork-Bajir ! Lames de poignet, lames de coude et griffes sifflèrent. On aurait cru voir un combat de tondeuses à gazon !
Mais je fus encore le plus rapide. Je ne me souviens même pas de la suite de la bagarre. Tout ce que je revois, c’est l’image du tigre – de moi – lacérant et mordant. J’étais une tornade de pelage roux strié de noir.
L’Hork-Bajir tomba à la renverse. Je rugis. Les autres firent demi-tour et s’enfuirent.
Du coin de l’œil, je vis Rachel soulever un Hork-Bajir avec ses défenses et le lancer comme une poupée par-dessus son épaule.
Et puis j’aperçus Marco. Sa frêle carcasse était en train de prendre la forme du corps monumental de Big Jim.
< Appelez-moi King, triompha Marco. King Kong. >
C’est vrai, comme l’avait dit Cassie, que les gorilles sont des animaux très doux, pacifiques et placides. C’est également vrai qu’ils sont costauds. Vraiment costauds.
Finalement, l’homme, comparé au gorille, n’est qu’un assemblage de cure-dents.
C’est vrai aussi que les Hork-Bajirs sont des créatures imposantes. Ils mesurent plus de deux mètres de haut et sont taillés pour la bagarre.
Mais Marco lança son poing de gorille et atteignit le plus proche Hork-Bajir au creux de l’estomac. L’Hork-Bajir s’écroula. Brutalement.
Je rugis. Rachel barrit. Marco souleva sa victime et la lança de côté comme une poupée de chiffon.
Le reste des Hork-Bajirs fit demi-tour et s’enfuit.
< On y va ! criai-je. Avant qu’ils ne se réorganisent et contre-attaquent ! >
Nous avons chargé. Rachel fonça tout droit en pulvérisant sur son passage quelques hangars et autres constructions légères.
Marco la suivit en faisant de petits bonds, en balançant ses énormes bras et en cognant sur tout ce qui lui barrait le passage. Et ce qu’il renversait ne se relevait pas…
Quant à moi je courais entre les deux en cherchant un Contrôleur assez fou pour me tenir tête.
Nous avons atteint les cages. Les humains et les Hork-Bajirs qui y étaient enfermés eurent un mouvement de recul. Ils avaient presque aussi peur de nous que des Contrôleurs. Il faut reconnaître qu’une équipe de secours composée d’un éléphant, d’un gorille et d’un tigre n’était pas exactement ce qu’ils avaient espéré.
Marco commença à secouer la serrure de l’une des cages.
Elle céda, et la porte s’ouvrit. Marco eut un comportement très humain pour rassurer les prisonniers : il fit une petite courbette, puis tendit la main vers eux en repliant ses doigts pour les inviter à sortir.
Tom fut le premier dehors. Il paraissait effrayé, furieux et déterminé. Je m’apprêtais à lui envoyer un message télépathique pour lui dire qui j’étais lorsque Rachel hurla brusquement dans ma tête.
— Jake ! cria-t-elle. Regarde ! Cassie ! >
Cassie avait presque atteint l’extrémité de la jetée d’implantation. Les gardes hork-bajirs et taxxons continuaient leur ignoble tâche. Pendant que je regardais, un nouvel humain fut plongé la tête la première dans le Bassin yirk.
— C’est Cassie la prochaine ! > m’exclamai-je.
— T’inquiète pas pour Tom, dit Marco, on s’en charge. Vas-y. Vas-y avant qu’ils ne s’en prennent à elle ! >
Je n’hésitai qu’une seconde, pendant laquelle mille pensées me traversèrent la tête.
Par la suite, il m’arriverait de repenser à cet instant. De me dire que peut-être… si seulement…
Je m’élançai. Il fallait que je la rejoigne !
Sous mes yeux, les deux Hork-Bajirs de la jetée prirent Cassie par les bras.
— Nooooon ! hurla-t-elle.
Je filais comme le vent, bondissant par-dessus les Taxxons, esquivant les Hork-Bajirs. Je volais presque.
Mais je ne pouvais pas voler vraiment. Pas comme Tobias.
Je l’aperçus très haut, tout en haut de la caverne. Et il piqua.
Comme un boulet de canon. Les serres en avant.
Tobias percuta le premier Hork-Bajir à près de quatre-vingts kilomètres à l’heure et remonta d’un coup d’aile en laissant l’extraterrestre cramponné à la bouillie gluante où se trouvaient, il y a une seconde encore, ses yeux.
Cassie n’en demandait pas davantage. Elle se libéra d’une secousse et remonta la jetée en courant.
Je finis par arriver et m’occupai du second Hork-Bajir-Contrôleur.
< Morphose ! criai-je à Cassie. Morphose et retourne à l’escalier ! >
Elle regarda les humains et les Hork-Bajirs qui faisaient la queue derrière elle.
— Sauvez-vous ! Sauvez-vous tous !
Ils lui obéirent. Cassie se faufila au milieu de la foule paniquée. Un instant plus tard, une tête brune à crinière noire apparut. Cassie avait morphosé en cheval et galopait vers l’escalier.
Je la suivis en contournant le bassin pour rejoindre Marco, Rachel, Tobias et tous les hôtes qu’ils avaient libérés des cages.
Les Contrôleurs commençaient à s’organiser. Un groupe de Taxxons arrivait en rampant pour nous barrer la route, à Cassie et à moi. Maintenant, Taxxons et Hork-Bajirs étaient armés.
< On passe par-dessus ! > criai-je à Cassie lorsque nous nous sommes trouvés face à l’escouade de Taxxons.
< OK, on passe par-dessus ! > me répondit-elle.
Je bondis. Elle sauta. Côte à côte, nous avons franchi la colonne de Taxxons sidérés. Ils voulurent décharger sur nous leurs lanceurs portatifs de rayons Dracon, mais trop tard. Les rayons crépitèrent derrière notre dos, et nous avons filé comme le vent.
L’imposante masse grise de Rachel se dressa devant nous. L’escalier était proche. J’aperçus Marco en compagnie de Tom.
On allait réussir ! Et, à ce moment-là, il sortit avec grâce d’un groupe d’Hork-Bajirs.
Il paraissait presque inoffensif, dans son corps d’Andalite. Une aimable créature à l’aspect mi-cerf mi-humain, recouverte d’un pelage bleuâtre et dotée de deux tentacules terminées par des yeux.
Vysserk Trois ne semblait nullement inquiet, contrairement aux Hork-Bajirs, aux Taxxons et… à nous-mêmes.
Vysserk Trois avait un corps d’Andalite et, comme les Andalites, il possédait la faculté de morphoser. Et il avait parcouru l’univers entier en collectionnant les schémas génétiques de monstres ne ressemblant à rien de ce qui existait sur Terre.
Un Taxxon vint parler à Vysserk Trois. Son langage avait une curieuse tonalité, une sorte de sifflement.
— Ssssweer trrreeesswew eeeesstrew.
Vysserk Trois garda le silence, se contentant de m’observer avec les fentes verticales qui lui servaient d’yeux.
< Cet imbécile de Taxxon vous prend pour des bêtes sauvages, commença Vysserk Trois. Il demande si ses frères et lui peuvent vous manger. (Il rit silencieusement.) Mais je sais que vous n’êtes pas des animaux. Ainsi, vous autres Andalites n’êtes pas tous morts lorsque j’ai détruit votre vaisseau. >
Il me fallut quelques secondes pour comprendre ce qu’il voulait dire. Et, brusquement, je devinai. Bien sûr ! Il nous prenait pour des Andalites. Il avait senti que nous n’étions pas de véritables animaux, mais des Animorphs, et il savait que les Andalites étaient les seuls à posséder la faculté de morphoser.
< Je vous félicite d’être parvenus jusqu’ici. Mais cela ne vous avancera à rien. Parce qu’aujourd’hui, mes vaillants combattants andalites, votre heure a sonné. L’heure de mourir. >
Il commença à morphoser à son tour.
< J’ai acquis ce corps sur la quatrième lune de la deuxième planète d’une étoile mourante. Il vous plaît ? >
Je compris que j’avais eu tort d’espérer.
On ne réussirait pas.